La légende raconte que l’origine du marteau divin repose en l’alliance inattendue d’une humaine et d’un nain. Chaque année, la capitale du royaume des hommes organisait le grand concours de l’artisanat. Devant la bâtisse en colombages, aux voûtes boisées torsadées, une foule s’était attroupée. Il était difficile de se frayer un chemin jusqu’au panneau d’affichage de la chambre des métiers. Une jeune femme se faufila en jouant des coudes et en se contorsionnant.
Elle portait un chemisier blanc simple, rehaussé d’un corsage en cuir lacé et un pantalon bicolore en velours. Malgré son apparence soignée, des cernes sous-lignaient ses yeux bleus et ses mains portaient les marques d’usure d’une travailleuse acharnée. Sous le panneau, un panier contenait des jetons ronds en bois portant un numéro unique côté pile et le portrait du maître de la guilde des marchands côté face.
Elle plongea la main dedans pour saisir le dernier jeton, élément indispensable pour participer au concours du meilleur artisan de l’année et ainsi asseoir sa notoriété. Une deuxième main saisit le bord opposé du jeton, plus trapue et légèrement velue.
- Non, celui-ci est à moi, femme humaine !
Remontant son regard le long du bras de son antagoniste, elle découvrit l’origine nanesque de son adversaire.
- Je l’ai vu en premier, Monsieur le Nain.
Aucun ne lâcha le jeton, tirant et luttant avec acharnement. Presque front à front, ils se fixaient intensément.
- En tant que meilleur apprenti forgeron, je me dois de participer au concours.
- Et bien, il en va de même pour ma part. Voyez-vous, je suis la meilleure de ma promotion de joaillier.
Un claquement de main interrompit la dispute. Sur le seuil se tenait l’initiateur du concours.
- Vous n’avez qu’à faire équipe. Vous avez trois jours pour proposer une création commune.
Ils échangèrent un regard entendu et une poignée de main. Le nain accepta le marché, étant donné que ce n’était pas une elfe. L’humaine releva le défi, voulant tirer avantage du talent de forge des nains. Après répartition des tâches, ils se séparèrent. Elle gagna son atelier, s’assit au bureau incliné et dessina toute la journée. Compas et équerres se succédaient sur le parchemin, donnant naissance trait par trait au schéma de leur futur chef d’œuvre. Lui, de son côté, visita chaque marché de la ville, en quête du meilleur minerai ou alliage de la capitale.
Il fit le tour des scieries pour dénicher le meilleur combustible afin d’allumer un brasero digne de leur projet. Il fouilla la forge de l’académie toute la nuit, dans le but de dénicher les outils les plus résistants et équilibrés qui puissent exister. Comme convenu, ils se retrouvèrent à l’aube à la taverne, autour d’un plateau de fromages et de charcuterie, pour partager leurs avancées. L’humaine déroula un parchemin sur la massive table en bois, dévoilant un schéma détaillé d’un marteau runique richement décoré.
Le nain resta silencieux, bouche bée quelques secondes face à tant de précision et de perfection. Puis il sauva son honneur en énumérant ses merveilleuses emplettes de la veille. Tout était prêt pour la fabrication. Ils passèrent la journée suivante à la forge. L’humaine fit les cent pas toute la matinée durant, attendant de pouvoir sculpter la première partie : le manche. Le nain acheva de le forger à midi puis passa au corps de l’arme.
Elle, tailla de fines arabesques en couronne autour du manche. Des rubis ovoïdes décorèrent les bords. Lui, termina le corps du marteau en fin d’après-midi, véritable lingot brillant aux contours lisses. De petites facettes hexagonales arrondissaient les extrémités.
L’arme baigna toute la nuit dans un tonneau d’eau froide avant de passer entre les mains de l’apprentie joaillière pour les finitions. Avec une lame aiguisée, fine et longuement chauffée, elle dessina des runes carrées tout autour du corps du marteau, caractères utilisés dans des temps anciens. Il était fin prêt.
De nombreux objets furent soumis au concours, déposés sur l’établi dressé devant la chambre des métiers : armes, pièces d’armures, habits et chaussures, bijoux et ceintures. Les juges examinèrent les pièces une par une, soulevant, sous-pesant, retournant, scrutant à la loupe chaque détail. La délibération prit plus d’une heure. Une annonce mit fin à la longue attente des participants. Le crieur se racla la gorge et lut son parchemin :
- Mesdames et messieurs, les maîtres ont désigné le vainqueur du 18e concours de l’artisanat. Sa création sera soumise aux bénédictions du roi et de la reine ainsi qu’aux prières du temple. Puis il sera vendu aux grandes enchères du printemps. Le vainqueur, ou plutôt les vainqueurs de l’année, sont des apprentis forgerons et joailliers, le jury ne peut que saluer leurs talents. Voici leur création.
Le petit homme à la grande voix souleva l’objet au-dessus de sa tête, présentant le marteau à la vue de tous.
La légende raconte que l’origine du marteau divin repose en l’alliance inattendue d’une humaine et d’un nain. Soumis depuis à de nombreux rituels et bénédictions, l’objet aurait, paraît-il, acquis des capacités extraordinaires.
Aslaug - Contes & légendes
* L'illustration de cette Légende représente une alliance entre le peuple Humain et le peuple Nain.