Pour plus de discrétion, l’apprenti magicien avait troqué sa togeet son chapeau pointu contre une longue cape kaki dotée d’une capuche assez grande pour lui garantir l’anonymat. Son équipement se résumait à une flasque en verre bouchée de liège et d’un plan griffonné sur un papier chiffonné.
Dessus, un chemin en pointillé sillonnait le pays à travers forêts et collines pour atteindre une croix comportant l’annotation « puits de mana ». Il marchait depuis maintenant une semaine. Plus il s’approchait du puits, plus il croisait de Golems, ces êtres créés par magie, gardiens du nectar tant convoité.
Le voyageur prenait le plus grand soin à les éviter, analysant leurs rondes pour se faufiler à leur insu. Ces immenses colosses, agglomérats de terre et de pierres, n’auraient fait qu’une bouchée de lui, tout juste capable de faire léviter un roc de la taille de leurs mains.
Heureusement pour lui, tel des automates, les déplacements de Golems étaient aussi réguliers que prévisibles. C’est donc par étapes qu’il progressait, de cachette en cachette. La forêt devenait moins dense, les souches plus rares pour se cacher. Une grande clairière s’ouvrait au bout, où gravitaient dix silhouettes terreuses autour d’un puits dépassant la taille d’un homme. L’encapuchonné trouva un arbuste plus petit que les autres et apposa ses paumes sur le tronc.
Il ferma les yeux et y insuffla sa magie à la manière dont on crée les Golems. Lorsqu’il eut transféré assez d’énergie au bois encore inerte, il s’éloigna en toute hâte, trouvant refuge dans le creux d’une souche grignotée par les mites. En réponse au souffle magique, le petit arbre s’anima et se mut. Son feuillage se secoua et ses branches se mirent à danser dans le vent.
Ses mouvements vifs créèrent une entêtante chanson de feuilles. Les Golems se figèrent tous, tournant leur grosse tête calcaire vers ce petit être végétal perturbant leur garde. Le magicien remercia intérieurement son acolyte du jour et profita de cette diversion pour s’approcher du puits privé de ses protecteurs.
Au milieu de la clairière se dressait une sculpture faite de pierres taillées et de bois. Le corps du puits était parfaitement rond, savant empilage de roches rectangulaires. Au sommet, une arche en bois coiffait élégamment l’édifice. Son écorce était parcourue de nombreuses entailles représentant d’anciennes runes.
Elles signifiaient : « puisant au fin fond de la terre, j’offre la magie primaire ; toi qui viens t’abreuver, reçois le pouvoir sacré ». Le voyageur s’accouda au rebord et se pencha au-dessus de la surface miroitante. Son reflet lui parut bleuté et irisé. Les parois du puits s’enfonçaient aussi loin que portait son regard. Il déboucha sa fiole et l’immergea dans le liquide ni chaud ni froid.
De grosses bulles remontaient à la surface. Lorsqu’il n’en vit plus, il repêcha sa flasque. Il porta le récipient à ses lèvres avec la même appréhension que s’il s’apprêtait à boire un café brûlant. La première gorgée fut incroyable et il vida avidement le reste du flacon. La mixture semblait réchauffer son corps de l’intérieur.
Il en ressentait le trajet depuis sa bouche jusqu’à son œsophage et son estomac. Le passage de la boisson était comme une caresse revigorante. Puis il perçut le sang pulser dans chacune de ses veines et artères, l’électricité parcourir chacun de ses nerfs, ses cellules se gonfler et se dégonfler comme si elles respiraient. Une incroyable énergie le gagna. Il leva les bras vers le ciel et rit à gorge déployée. Peu importe si les Golems revenaient, il se sentait prêt à… rivaliser.
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