Stonefield, village moyenâgeux connu pour sa place principale habillée d’un monolithe préhistorique plus grand que trois hommes. Adulé de la noblesse, il jouit d’une excellente réputation et des meilleures tavernes. Ses pâtures et ses champs en font aussi le grenier de la région. Centre névralgique du canton, il accueille marchés et foires en toutes saisons, attirant les opportunistes et les curieux. La plus ancienne famille s’y étant installée y vit toujours. Depuis cinq générations, ils cultivent les céréales, entretiennent et font tourner le vieux moulin et vendent le meilleur pain du coin.
Deux jours après le solstice d’été, le village dort encore profondément après plusieurs nuits de festivités. L’église sonne onze heures mais seule la famille d’agriculteurs s’active dans les champs. La récolte du blé bat son plein, les plus jeunes et les anciens prêtent main forte dans la confection des gerbes. En s’épongeant le front, le cadet prend une grande goulée d’air frais et lève les yeux de sa tâche du jour. Il porte alors son regard vers sa sœur puis vers ce qu’elle regarde avec une visible angoisse.
Une vision macabre l’envahit. L’horizon est criblé de lances et de silhouettes brillantes. Une rivière de métal s’écoule lentement vers le village. L’armée avance lentement mais s’approche suffisamment pour leur permettre de reconnaître le blason de la province voisine. Cela fait plusieurs semaines qu’un conflit a éclaté, pour d’obscures raisons de rois et d’egos.
Prévenus par les cris de l’aînée, les parents s’empressent de lâcher leurs outils et d’aider leurs ascendants à se mettre à l’abri.
- Les enfants, allez sonner la cloche du village, récupérez les armes de la maison puis cachez-vous dans le silo à grain.
- Et vous ?
- Il n’y a pas assez de place dans le silo, on vous y retrouvera quand tout sera redevenu calme. N’en sortez sous aucun prétexte.
Un échange de regard silencieux entre les deux membres de la fratrie et ils partent chacun de leur côté. Le cadet file vers l’église du village tandis que l’aînée pénètre dans la chaumière aux murs de bois et d’argile. Dans la pièce principale, servant à la fois de dortoir, de cuisine et de salle à manger, le calme laisse place à l’agitation extérieure. La paysanne oublie un instant sa mission, apaisée par ce havre de paix familier. Mais l’angoisse de le voir détruit ou brûlé la sort de sa torpeur, comme un cauchemar tire du sommeil. Sur le mur sont fixés deux glaives entrecroisés, héritage de lointains aïeux, devenus décoratifs. Elle les arrache sans attendre. Ils sont plus lourds qu’elle ne le pensait. Elle peine à les soulever. Dehors, la chaumière est entourée de plusieurs bâtisses : étables, ateliers, moulin et réserve. Alors qu’elle ouvre la trappe du silo enterré, la cloche du village retentit, signe de la réussite de son jeune frère. Rassurée, elle plonge dans le grain avec pour seule richesse ses deux glaives émoussés.
Aslaug - Au fil de l’histoire