La légende raconte que le cœur de la montagne abritait d’incroyables gemmes. Mais aucun nain n’avait creusé assez loin pour mettre la main dessus. Et bon nombre tentèrent l’aventure mais revinrent bredouille ou chargés de trésors plus modestes. La porte en pin claqua, arrachant un cri au souverain des mines.
- Mon Roi ! C’est terrible, la clef… La clef dorée a disparu, hurlait le maître des clefs, à peine compréhensible.
Le nain en pyjama était essoufflé, transpirant et le blanc de ses yeux écarquillés rivalisait avec la lividité de sa peau. Il en oubliait même le respect dû à son chef, la bienséance ayant cédé à la panique. L’intrusion nocturne dans la chambre du roi était sans précédent, autant que la situation frisait la catastrophe pour les finances du royaume.
L’ex-endormi se souleva péniblement de sa couche et enfila une peau d’ours. Il ordonna un comptage immédiat du trésor. Car la clef dorée n’ouvrait pas n’importe quelle porte parmi les innombrables pièces ponctuant les galeries sinueuses de son royaume. Subtilisée pendant la nuit, cette clef ouvrait la porte en acier épaisse et renforcée de la salle aux trésors.
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L’inventaire se tint donc de nuit, difficilement, à la lumière des torches. Chaque écu d’or brillant de mille feux fut compté, empilé et rangé. Chaque gemme taillée aux couleurs flamboyantes fut pesée et replacée. Tout semblait étrangement en ordre. Seules quelques pierres précieuses et uniques attirèrent l’attention des nains.
Il s’agissait des pierres de puissance, terriblement convoitées de tous et réunies au prix de lourds sacrifices, de longues guerres et de profondes explorations. Elles n’avaient en réalité pas disparu. Mais leur examen révéla qu’il s’agissait de pâles copies : une taille irrégulière, une surface rugueuse moins réfléchissante et surtout un poids amoindri. Sans la disparition de la clef dorée, ce furtif échange serait peut-être passé inaperçu.
Deux équipes furent formées : la première quitta la mine immédiatement pour tenter de rattraper le voleur, la deuxième regroupait les meilleurs mineurs. Un plan massif allait être lancé pour recouvrer leur puissance dérobée. De nouvelles galeries seraient creusées, en quête des trésors de la montagne.
L’équipe de mineurs remonta la grande galerie et emprunta le puits, infini escalier en colimaçon taillé dans la roche descendant vers les profondeurs. L’air devenait sec et plus lourd au fur et à mesure qu’ils progressaient. Les galeries se resserraient en boyaux sinueux et bas de plafond. Ils ne purent bientôt que se suivre en rang d’oignons, forcés par l’étroitesse de l’ultime galerie.
Le premier ouvrait la voie, brandissant une torche. Le deuxième poussait un chariot débordant de pioches. Le troisième serrait très précautionneusement contre son sternum une caisse en bois illustré d’un pictogramme rouge inquiétant. Le dernier fermait la marche, un peu en retrait, afin de maintenir une distance certaine entre sa torche et son prédécesseur. Le bout du tunnel s’élargit en une salle ovale plus respirante. Le chemin s’arrêtait là.
Aucun mineur n’avait creusé plus loin ou plus profond que ce point-là. Ils prirent leur casse-croûte, à base de pain et de fromage, avant de commencer à creuser. Les pioches piquaient la roche, des blocs tombaient, le chariot allait et venait. Les quatre travailleurs avançaient sans relâche. Après deux jours à creuser à la sueur de leur front et à la force de leur bras, ils rencontrèrent une roche trop résistante pour leurs outils conventionnels. La dynamite fut de mise.
Le troisième nain prépara l’explosif en plaçant plusieurs foyers le long de la paroi puis en déroulant méthodiquement la ficelle détonante de manière à pouvoir faire feu depuis la salle ovale. Une fois la mèche allumée, ils regardèrent tous les étincelles s’éloigner en silence, retenant leur souffle en attendant la détonation.
De retour au fond de la nouvelle galerie, une montagne de gravats et un nuage de poussière bouchaient la vue. Le chariot fut de nouveau réquisitionné, rempli de morceau de roche, acheminé et vidé dans la salle ovale. En dégageant les débris, un nain perçut la fin du labeur. Un mince filet d’air glissait entre les pierres, annonçant une ouverture prochaine.
Quelques heures de travail supplémentaires permirent de sortir le reste de rochers. La cloison plus solide détruite par la dynamite, à leur grande surprise, leur offrit des horizons bien plus vastes. Là, devant eux, une petite galerie s’ouvrait, s’enfonçant dans l’obscurité, ils n’en voyaient pas le bout. Elle était aussi large que haute, aux contours réguliers, il s’agissait d’un travail de nain, cela ne faisait aucun doute. Cette découverte les laissa sans voix.
Seul le courant d’air sifflant dans la galerie brisait le silence. Après discussion, deux nains firent demi-tour afin d’informer le monarque de leur avancée et découverte. Les deux autres partirent explorer cette nouvelle voie. Quelques centaines de mètres plus tard, une lumière flamboyante renforça leur torche, droite devant eux. Une silhouette apparut à la sortie d’un virage.
Deux yeux brillants ébahis, une barbe ondulée se perdant dans un pourpoint noirci, une poigne de fer brandissant une lampe à huile, habillée d’une chevalière différente de la leur.
La légende raconte que le cœur de la montagne abritait d’incroyables gemmes. Mais en partant à leur recherche, certains trouvèrent un trésor fait de chair et d’os. Le cœur de la montagne fut le théâtre d’une rencontre inattendue, signant une nouvelle alliance pour le peuple nain, convaincus qu’elle était destinée.
Aslaug - Contes & légendes
* L'illustration de cette Légende représente un Royaume de Nains (la présence de deux tribus naines côte à côte)