La légende raconte que la guerre opposant elfes et gobelins dura cinq ans. Le peuple des bois passa à l’offensive pour des raisons territoriales. Depuis l’installation de la tribu, l’orée de la forêt n’avait fait que dépérir et reculer, cédant place à un sol infertile, humide et boueux. Les batailles se succédaient mais malgré le courage des elfes les gobelins ne cessaient de progresser plus loin dans la forêt.
La cabane de la pisteuse se trouvait à l’écart du village. Posée à même le sol, adossée à un chêne centenaire, la petite maison était aussi modeste et simple que son habitante. Celle-ci resserrait le laçage de ses bottes montantes, accroupie devant sa porte. Un conseiller du roi se planta solennellement devant elle.
- Le roi vous demande pour une audience privée.
Récupérant son arc et son carquois, la pisteuse se hâta de le suivre. Le trône en bois sculpté tout en arabesques se trouvait au fond de la grande salle du palais, lui-même flottant et soutenu par plusieurs dizaines d’ifs aussi majestueux que vieux. Le toit en saule tressé offrait une douce luminosité.
- Approche, ordonna la voix claire et autoritaire du roi elfe.
La pisteuse s’agenouilla à deux pas du trône.
- En tant que meilleure pisteuse du village et amie d’enfance du prince, tu es la mieux placée pour cette mission. Le roi se racla la gorge et continua d’un air plus grave : le prince a disparu depuis hier soir. Je pense qu’il est parti en territoire ennemi pour sa quête secrète, malgré mes mises en garde. Retrouve-le, s’il n’est pas encore trop tard.
L’elfe quitta aussitôt le village en direction du front ouest. Son devoir s’avérait ardu car ses congénères ne laissaient que peu de traces de leur passage. Mais une seule nuit la séparait du prince, l’espoir subsistait. À l’écart des chemins empruntés par l’armée, elle put déceler une piste : les traces d’une personne seule. La taille des empreintes, leur profondeur et leur distance correspondaient à un elfe de gabarit proche de celui du disparu. Leurs tracés le guidaient non pas vers le front mais à l’écart, plus dans les terres.
Malgré midi, il faisait sombre. L’air était chargé de cendres et sentait la fumée. Les bruits de bataille résonnaient au loin, tels de macabres échos. Elle atteint la limite de la forêt plus tôt que dans ses souvenirs. Les traces quittaient la mousse pour se perdre dans un marais peu profond. La pisteuse tenta de contenir sa tristesse et sa colère face aux feux et aux haches qui avaient décimé cette partie de la forêt.
L’humidité du sol marécageux rendait la traque plus difficile. Les pas s’enfonçaient plus profondément mais s’emplissaient immédiatement d’eau. L’elfe chercha donc de petits puits peu profonds de la taille d’un pied. En milieu d’après-midi, elle s’inquiéta de sa destination. Des drapeaux et des toiles en peaux dressées se dessinaient à l’horizon, camp arrière de l’armée gobeline. Les pas filaient vers le camp.
D’autres plus frais revenaient. Elle suivit cette piste, rassurée de voir les pas de son ami s’éloigner du danger. Une plaine vallonnée s’offrait à elle. Le terrain plus stable lui permit de progresser plus rapidement et de rattraper son retard. Avant la tombée de la nuit, elle arriva à destination. Les empreintes disparaissaient dans l’entrée d’une grotte creusée dans une faille du sol herbeux.
- Je savais que tu viendrais.
La voix ricanante provenait de l’obscurité de la grotte. La pisteuse s’avança. Le prince se tenait adossé au mur, bras et jambes croisées.
- Ta présence ici prouve que mon père doute toujours de mes compétences et mon jugement.
- Il s’inquiète, c’est tout. Si tu étais tombé aux mains de ces sauvages, la guerre n’aurait servi à rien. Nous aurions perdu la forêt en plus du futur roi.
Accord diplomatique : Permet de faire cesser tout conflit entre des tribus adjacentes
- Et bien justement…
Le prince se redressa et donna un coup de pied au sac en toile posé au sol près de lui. La masse gesticula et grogna. La pisteuse reconnut ce son immédiatement et dégaina sa dague avant d’adopter une posture défensive.
- Pas touche à ma proie, mademoiselle.
- Que fais-tu dans cette grotte avec un gobelin ? Tu as perdu la tête ?! D’autres t’ont peut-être suivi.
- Calme toi, tu es la seule à pouvoir me suivre. Ces nabots n’ont peut-être même pas encore remarqué sa royale absence.
Il tira sur le lien et ouvrit le sac, dévoilant une petite silhouette verte recroquevillée et entravée par une fine corde solide.
- Regarde ça : teint clair, absence de cicatrices, vêtements en cuir de première qualité, dormait dans la plus grande tente du campement. Je te présente Monsieur le Prince gobelin. Une monnaie de choix pour s’acheter la paix, tu ne trouves pas ?
La légende raconte que la guerre opposant elfes et gobelins dura cinq ans. La reddition du roi gobelin eut lieu au solstice d’été. Un accord diplomatique fut signé : le peuple gobelin dû trouver un nouveau lieu de vie en échange de la vie de leur prince. La forêt porte encore les stigmates de la guerre, mais les bons soins du peuple elfique tentent d’en effacer les traces.
Aslaug - Contes & légendes
* L'illustration de cette Légende représente une bataille légendaire entre le peuple Elfe et le peuple Gobelin.