La légende raconte qu’aucune alliance n’avait jamais unifié autant de gobelins ; aucune terre n’avait jamais été foulée par tant de tribus ; aucun témoin n’avait jamais assisté à un tel regroupement. Ces êtres vivants dans les marais n’étaient en effet guère réputés pour leur sociabilité, préférant s’éventrer pour un poisson plutôt que partager un butin de pillage.
Et pourtant, chaque jour voyait arriver plus de gobelins au sein de la horde déjà conséquente et plus de tentes fleurir au sein du campement. L’herbe de la prairie suffoquait sous les peaux de bêtes et la paille. Des centaines de pieux de bois empalaient la terre, soutenant des toiles de tissus rapiécées, ribambelle de huttes nomades. En trois jours, le camp avait envahi la plaine aussi rapidement qu’un feu dévore la brousse.
Chaque tribu, lancée dans un véritable pèlerinage, avait répondu à l’appel du roi. Tous venaient chargés d’offrandes pour leur souverain. À chaque nouvelle arrivée le même rituel : des tentes se dressaient, des rations agrandissaient le garde-manger, des offrandes enrichissaient le chef des chefs. Un abri spécial au centre du camp abritait les cadeaux du roi, sous la forme d’un chapiteau coloré surveillé nuit et jour. Pièces d’armures scintillantes, épées serties et pierres précieuses emplissaient les malles.
Lors du troisième jour, les plus belles peaux de loups vinrent compléter la collection du roi gobelin, ainsi qu’une boîte en bois contenant davantage de gemmes qu’il ne pouvait en compter. Le garde fut relevé par l’un de ses congénères, l’invitant ainsi à aller assister à l’imminent discours du roi. Une étrange sensation lui tordit le ventre, mais après vérification, tout semblait calme sous le chapiteau.
Sur une estrade en bois, le roi, grassement nourri et richement vêtu, interpella ses nombreux subordonnés.
- Tribus de l’Est, tribus du sud, du nord et de l’ouest, vous avez tous répondu présent à l’appel. L’appel du sang et de l’or ! Merci d’être venu. Avec vos présents et notre nombre, nous déferlerons sur tous les royaumes telle une vague de vengeance et de mort. Joignez-vous à moi et faisons avaler leurs dents aux hommes, aux elfes et aux nains. Ils se croient plus malins et plus intelligents que nous. Montrons-leur la force et la rage des gobelins.
Le garde, à l’entrée du chapiteau, suivait avec ferveur le discours de son maître. Captivé qu’il était, il ne sentit pas les vibrations émanant de l’intérieur ; il n’aperçut pas l’inquiétante lueur glissant sous la toile comme un mauvais présage. Dans le coffret en bois, le grand nombre de pierres précieuses comptait des gemmes particulières. Contenant une incroyable réserve d’énergie, ces pierres de puissances présentaient un intérêt tactique majeur si serties sur des armes ou des armures. Mais en excès, elles pouvaient aussi être synonymes d’entropie destructrice.
-Montrons-leur que l’union fait la force. Récupérons la place qui nous est due. Brûlons, pillons, tuons !
Les acclamations fusèrent. Le discours s’acheva dans un vacarme de cris stridents et de tambours. Ni le chant des oiseaux, ni l’écoulement d’une rivière, ni le tonnerre ne purent couvrir ce chant funeste. Mais sous la tente, les gemmes échauffées, vibrantes et débordantes d’énergie le firent. Le trop-plein de puissance jaillit comme un volcan en éruption. Une explosion sans précédent emporta la plupart du camp, mettant fin au rêve de grandeur du peuple gobelin.
La légende raconte qu’aucune alliance n’avait jamais unifié autant de gobelins ; aucune terre n’avait jamais été foulée par tant de tribus ; aucun témoin n’avait jamais assisté à un tel regroupement. L’histoire aussi surprenante qu’improbable devint chanson. La chanson devint comptine et comptes pour enfants. Le lieu de l’incident demeura vide, calciné, sans vie ; terres désolées et abandonnées. Personne ne put confirmer la véracité de cette histoire, l’histoire des cent tribus.
Aslaug - Contes & légendes
* L’illustration de cette Légende représente un Royaume de Gobelins (la présence de deux tribus gobelines côte à côte)